Réchauffement climatique : le thé risque-t-il de disparaitre ?

par | 16 Mar 2024 | Articles essentiels

jeune pousse résistant à la sécheresse

Le changement climatique représente l’un des plus grands défis de notre époque. On constate une augmentation moyenne de la température globale de 1,1°C depuis l’ère préindustrielle.

Ce phénomène, principalement causé par les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines, entraîne des modifications profondes de notre environnement : fonte des glaces, élévation du niveau des mers, événements météorologiques extrêmes plus fréquents et modifications des précipitations.

Ces changements ont un impact considérable sur l’agriculture mondiale. Ils perturbent les cycles de croissance des plantes, leur productivité, leurs qualités organoleptiques et nutritionnelles…

Parmi les cultures affectées, le thé, deuxième boisson la plus consommée au monde après l’eau, se trouve en première ligne. Cultivé principalement dans des zones spécifiques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud, le thé exige des conditions climatiques très précises pour développer sa palette de saveurs unique.

Les variations climatiques, telles que les changements de température, les précipitations irrégulières et l’augmentation des nuisibles, menacent non seulement la quantité de thé produite mais altèrent également sa qualité. Le profil aromatique et gustatif si varié des différents thés du monde est en baisse. Le prix et la rareté du thé sont en augmentation.

Dans cet article, j’ai voulu faire un point aussi complet que possible sur l’impact du changement climatique sur la culture du thé. Quelles sont les conséquences sur la qualité et la quantité de thé produit ? Quelles adaptations, solutions et innovations les producteurs peuvent-il mettre en place pour maintenir leur production ? Au final, le thé risque-t-il de disparaitre purement et simplement ?

Une forte baisse des rendements déjà à l’oeuvre et encore plus à prévoir

Des études menées en Assam en Inde (voir ici en anglais), une des plus grande région productrice de thé noir au monde, ont révélé qu’un degré supplémentaire au-dessus d’une température annuelle moyenne de 28 °C réduit les rendements des théiers d’environ 4 %.

Des recherches au Sri Lanka – un autre grand producteur de thé – montrent qu’une augmentation d’un degré de la température moyenne entraînerait une réduction de 4,6 % des rendements.

Le Centre de Recherche et de Développement du Thé de Darjeeling a mené une étude sur 20 ans, qui a montré que les températures maximales ont augmenté d’environ 0,50 °C tandis que les précipitations ont diminué de 56 mm et l’humidité relative de 16%.

L’ONG anglaise Christian Aid dresse un rapport alarmiste sur la situation. Elle estime que « les zones de culture de thé les plus importantes du monde seront parmi les plus touchées par les conditions météorologiques extrêmes, et leurs rendements seront probablement considérablement réduits dans les prochaines décennies si la dégradation climatique se poursuit à son rythme actuel. »

Concrètement, au Kenya, l’ONG estime que la zone géographique avec les conditions optimales pour la culture du thé sera réduite de plus de 25% d’ici 2050 et 39 % des zones présentant des conditions de culture de qualité moyenne sont carrément menacées de destruction.

Sans même devoir se projeter en 2050, la situation actuelle en Inde n’est aujourd’hui pas réjouissante. En Assam, les plantations de thé avaient reçues moins de 50 % des précipitations nécessaires pendant la première période de récolte en 2021. A l’échelle de l’Inde, donc en incluant Darjeeling, Assam et Nilgiri, 81 plantations de thé sur 135 suivies ont subi des rendements nettement inférieurs en raison de la sécheresse entre 2018 et 2020.

Des attaques d’insectes nuisibles

Le « moustique du thé » est une autre préoccupation pour les agriculteurs de thé dans le monde entier. Il est déjà responsable de pertes de récoltes en Afrique et en Asie. Animal à sang froid, il profite des plus fortes températures pour se reproduire plus rapidement.

80% des zones de culture de thé en Inde sont désormais affectées par ce ravageur, et on estime qu’il peut causer jusqu’à 50 % de réduction des rendements annuels.

Cet insecte, aussi appelé « l’aleurode des serres » ou « mouche blanche des serres » (Trialeurodes vaporariorum), n’est pas un moustique au sens propre. Il s’agit d’un petit insecte volant nuisible pour de nombreuses plantes, y compris les cultures de thé. Il se nourrit de la sève des plantes, leurs causant un affaiblissement général, la jaunisse des feuilles et parfois la mort de la plante. Ils peuvent également propager des virus.

Une grande menace aussi sur l’industrie du thé en Chine

Li Xin, scientifique en chef responsable de la culture du thé à l’Académie chinoise des sciences agricoles, s’inquiète lui aussi. Il explique dans un rapport que les épisodes de sécheresse de 2022 ont eu un impact dévastateur sur la qualité et la santé des théiers du pays. Des milliers d’hectares d’arbres sont morts. Certains étaient tellement desséchés qu’ils sont devenus rouge et cramoisis.

En août 2022, la Chine a connu une baisse de 40 % de la production de thé, particulièrement dans le bassin du Yangtze. Cette région, traversée par l’un des principaux fleuves de Chine, d’ouest en est, a enregistré des températures régulièrement supérieures à 40 °C.

Li Xin explique : « Nous commençons à voir les régions de production de thé se déplacer du sud vers le nord, et de l’est vers l’ouest ». Cette translation des zones de production peut sembler aller de soi mais concrètement, elle pose de nombreux problèmes. En effet, le thé est un marché défini par son terroir. Des thés produits à quelques mètres de distance se vendent à des prix très différents car les conditions changent du tout au tout. Le risque est donc de voir les thés les plus célèbres disparaitre.

Le goût et les bienfaits du thé changent et pas en mieux

Le changement climatique influence aussi la saveur d’un thé provenant d’un lieu spécifique. Il faut savoir que le le profil aromatique et gustatif d’un thé est le résultat de plusieurs dizaines de composés différents produits par le théier pour s’adapter aux conditions de son environnement.

Par exemple, un thé privé de lumière du jour produira plus de chlorophylle et plus de polyphénols (notamment la L-théanine qui apporte au thé son umami) ce qui lui donnera un goût plus doux. C’est ainsi que l’on produit le thé vert Gyokuro au Japon, en ombrant la plantation pour réduire son exposition aux rayons du soleil.

Les facteurs qui influencent le goût d’un thé sont multiples :

  • variations de la température dans une journée et dans une année
  • quantité et distribution des précipitations
  • présence de certains insectes
  • cultivar utilisé
  • taux d’humidité de l’air
  • couverture nuageuse
  • inclinaison des rayons du soleil

Beaucoup des composés qui donnent une qualité de thé supérieure sont des métabolites secondaires, c’est-à-dire des composés chimiques que la plante produit pour se défendre contre son environnement.

Par exemple : l’insecte qui donne son goût unique au thé Darjeeling est connu sous le nom de « mouche du thé » (Empoasca flavescens). Il suce la sève des feuilles. En réponse à cette attaque, la plante produit des composés chimiques pour se défendre, ce qui modifie le profil aromatique du thé. Ce phénomène est connu sous le nom de « muscatel flavor », ou goût muscat, une caractéristique très recherchée du thé Darjeeling de deuxième récolte ou « second flush ».

Dès lors, le changement climatique qui modifie tous ces paramètres a une grande influence sur le goût final du thé dans nos tasses et sa « qualité fonctionnelle » du thé, autrement dit ses bienfaits.

Au Japon, on obtient plus de thé… mais de moins bonne qualité

Contrairement à l’Inde, les rendements du thé au Japon s’améliorent sous l’effet du réchauffement climatique. La saison de croissance est plus plus longue et le volume total de thé récolté est plus important.

Hélas, cette médaille a un revers. La qualité du thé tend à baisser par un effet de dilution. Le thé produit a une saveur moins prononcée car il est moins riche en métabolites secondaires comme la théanine, la catéchine et la méthylxanthine qui lui donnent justement son caractère.

Quelles solutions pour que le thé puisse perdurer ?

Cette plantation de thé au Vietnam protège ses théiers avec des arbres

Cette plantation de thé au Vietnam protège ses théiers du rayonnement solaire avec des arbres

Dans un rapport publié en 2015 par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et disponible ici, plusieurs recommandations ont été formulées pour réduire l’impact du changement climatique sur la culture du thé.

1- Planter des cultivars de thé résistants à la sécheresse et au stress

Des chercheurs en Chine et au Japon et des agences de recherche gouvernementales travaillent déjà à créer un cultivar de théier capable de résister à des conditions extrêmes tout en produisant un thé de qualité. Le risque de cette solution réside dans le fait qu’une plantation qui repose exclusivement sur un cultivar unique est aussi plus vulnérable à des parasites spécifiques à ce cultivar.

Cette monoculture peut entraîner une diminution de la biodiversité et rendre les cultures moins résiliantes aux changements environnementaux et aux nouvelles menaces. Par conséquent, tout en recherchant à améliorer la résistance et la qualité du thé, il est crucial d’adopter des stratégies de diversification et de gestion durable pour préserver l’équilibre écologique et assurer la pérennité de la production de thé.

2- Diversifier la production

Ici, il s’agit tout bonnement de remplacer la production de thé à moins bon rendement par une autre production vivrière qui pourra s’y adapter.

Rappelons que la production de thé emploie à elle seule 13 millions de personnes dans le monde, dont neuf millions sont de petits exploitants agricoles, tandis que les autres travaillent dans des plantations de thé. Il s’agit avant tout de leur assurer un moyen de subsistance quitte à sacrifier le thé.

Cela me fait penser dans un autre contexte  à la production de Kat en Éthiopie qui se substitue à celle du au café en raison de sa facilité de culture et de ses effets stimulants. Contrairement au café, qui nécessite des conditions climatiques spécifiques et un long processus de récolte, de séchage et de torréfaction, le Kat est relativement simple à cultiver et peut être consommé frais, peu de temps après sa récolte. 

3- Associer la culture du thé à d’autres cultures d’arbres

Les arbres d’ombrage protègent les plants de thé du soleil et de la chaleur. Cette technique est notamment utilisée au Vietnam comme nous en parlions ici. Le but est de créer un micro-climat local pour conserver l’humidité de l’air et du sol.

À mesure que l’arbre mûrit, il peut aussi être utilisé comme combustible pour sécher le thé ou se chauffer tout simplement. On plante aussi du caoutchouc pour en récolter le sève. Certain arbre fournissent aussi des fruits comestibles. D’autres sont capables de fixer l’azote dans le sol ce qui aide à la croissance des théiers. D’autres permettent de lutter contre la détérioration du sol en cas de fortes pluies.

4- Adopter la culture biologique

Le thé a une empreinte carbone relativement faible par rapport à d’autres cultures. Il contribue donc assez peu au réchauffement mais son impact pourrait être grandement amélioré grâce à la production de thé bio.

La principale émission de gaz à effet de serre dans le cycle de vie du thé vient de l’utilisation d’engrais chimiques pendant la culture. L’excès d’engrais ravine dans les cours d’eau et se décompose dans le sol, libérant le gaz à effet de serre oxyde nitreux (N₂O) dans l’atmosphère.

En Chine, l’engrais représente 32 % des émissions de thé du moment où il est cultivé.

5- Mieux gérer la conservation de l’eau

La FAO recommande de mettre l’accent sur la conservation de l’eau par des systèmes d’irrigation et de drainage artificiels et de recourir à la collecte des eaux de pluie.

Les producteurs de thé ont déjà commencé à s’adapter

Les régions de culture de thé doivent s’adapter pour survivre. Il faudra remplacer tous les « pas de chance » climatiques par de l’intelligence, comme dirait Goldman. Les pratiques de culture vont s’orienter vers la qualité et l’adaptabilité plutôt que sur la quantité.

Par exemple, des agriculteurs dans certaines régions de Chine ont augmenté leurs récoltes en taillant leurs arbres plus près du sol chaque année mais ces coupes affaiblissent les arbres et endommagent le sol. Cette pratique devra s’arrêter.

Il faudra aussi probablement en finir avec les variétés de thé clonales qui ont certes un plus haut rendement mais qui ont des systèmes racinaires plus superficiels, ce qui rend leur survie plus difficile en cas de conditions météorologiques difficiles.

A Uji au Japon, les producteurs de thé ont modifié la quantité de paille ou de couverture de feuilles qu’ils utilisent pour ombrager les thés pour compenser les températures plus élevées et la réduction du brouillard matinal.

L’application de paille et d’autres matières organiques au sol peuvent aider à augmenter la résilience du sol aux inondations et sa capacité à retenir l’eau.

Le moment et le nombre de récoltes vont aussi se modifier pour s’adapter à la croissance variable. Par exemple, au Japon, l’ichibancha est traditionnellement récolté la 88e nuit de l’année qui tombe le 1er ou le 2 mai, selon l’année. Avec le changement climatique, les producteurs de thé vont surement devoir commencer les récoltes plus tôt dans le printemps.

Quelques mots d’espoir pour conclure

Vous le constatez, les défis à relever sont nombreux. Nous avons vécu l’âge d’or du thé abondant, de bonne qualité et bon marché. Le thé de 2050 ne pourra pas conjuguer ces 3 caractéristiques. Les producteurs devront privilégier soit la qualité, soit la quantité. Et s’ils veulent que leurs traditions ancestrales perdurent, ils vont aussi devoir en finir avec les engrais et pesticides chimiques.

Le thé ne disparaitra probablement pas mais il faudra apprendre à l’apprécier à sa juste valeur car il deviendra de plus en plus un produit rare et donc cher. La science a tout de même une carte à jouer pour aider à trouver des solutions technologiques pour mieux exploiter les théicoles.

Gardons donc espoir mais gardons aussi en tête l’importance de nous préserver du réchauffement climatique (en espérant qu’il ne soit pas trop tard) par les gestes que, nous consommateurs, pouvons mettre en place au quotidien, chacun selon ses moyens.

Guillaume Devaux

A propos de l'auteur

Guillaume Devaux est le fondateur du Paradis du Thé et formateur au Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est par ailleurs rédacteur spécialisé dans le domaine de la santé et du développement personnel depuis plus de 20 ans. Il collabore régulièrement avec des médecins, kinésithérapeutes et hypnothérapeutes pour développer une vision globale du bien-être.

Ces articles pourraient vous intéresser